Lorsque j’avais écrit sur Narva, ville à la frontière entre la Russie et l’Estonie, je m’étais fait demander ce que ça signifiait pour les citoyens de l’Estonie de faire partie de l’Union Européenne en ce qui concerne les déplacements. Je me suis donc plongée dans des lectures et souvenirs plus administratives ce matin.

L’une des caractéristiques et l’un des avantages à faire partie de l’Union Européenne est la traversée des frontières facilitée. Pour un voyageur étranger, il suffit de traîner son passeport au cas où, et bien souvent, de savoir qu’on change de pays seulement grâce à une pancarte qui souhaite la bienvenue. C’est le cas principalement dans les pays d’Europe de l’Ouest, qui sont des « anciens » de l’Union Européenne. Par exemple, passer de l’Autriche à l’Allemagne se résume à un « Bienvenue en Allemagne! ». Pour les pays qui sont plus nouveaux dans l’organisation, il y a encore des postes frontaliers où les passeports sont étampés, comme entre la Roumanie et la Bulgarie. Mais ce n’est qu’une procédure de routine, il n’y a pas de douanier qui pose des questions pour décider si les gens peuvent entrer ou non comme à la frontière américaine, en tout cas, pas à ma connaissance.

Image prise sur le site Toute l’Europe

Pour les citoyens de l’Union Européenne, c’est la même chose pour s’y déplacer à travers, sauf qu’en plus, ils n’ont pas de restrictions de temps. Alors que les étrangers ne peuvent pas rester plus de 3 mois (à moins d’avoir un visa), les citoyens peuvent voyager, étudier et travailler dans toute l’Union Européenne sans autorisation particulière. C’est justement l’une des raisons qui fait que beaucoup de Roumains et de Bulgares quittent leur pays et vont s’installer ailleurs en Europe, comme on l’a vu dans la série sur la dépopulation dans les Balkans.

Donc, pour en revenir à la question de départ, l’Estonie faisant partie de l’Union Européenne, les Estoniens peuvent s’y promener à leur guise. Par contre, et c’est là où ça devient plus compliqué, il y a le cas des Russes ethniques en Estonie.

À la chute de l’Union Soviétique en 1991, les Russes qui habitaient le pays se sont retrouvés sans nationalité. Ils sont devenus coupés de leur pays d’origine, mais en même temps, coupés du pays qui se construisaient autour d’eux. La vie en Estonie semblait plus prometteuse qu’en Russie, et ces gens avaient construit leur vie en Estonie, donc ça semblait plus évident de rester. En même temps, les Russes ethniques se voyaient d’une certaine façon exclus de la nouvelle Estonie indépendante.

Lasnamäe, Tallinn

Comme c’est le cas partout dans le monde, les ethnies ont tendance à se regrouper. En Estonie, la minorité russe se retrouve concentrée dans des villes comme Narva ou Tallinn. Et même à l’intérieur des villes, il y a des quartiers principalement habités par des Russes. Par exemple, à Tallinn, le quartier Lasnamäe en est un où c’est normal d’entendre du russe dans les rues. Les Russes ont tendance à rester entre eux, ce qui peut être un obstacle à leur intégration dans l’Estonie. En tant que minorité reconnue, ils ont le droit d’avoir accès à des services dans leur langue maternelle. Cependant, ça ne les encouragera pas nécessairement à apprendre l’estonien… alors que c’est une condition obligatoire pour obtenir la citoyenneté estonienne.

Bref, ces résidents de l’Estonie n’en ont pas la nationalité, et se retrouvent donc affublés d’un passeport « alien » ou « gris ». C’est ce que possèdent les Russes ethniques qui, au moment de l’indépendance, sont restés en Estonie, n’ont pas fait de demande pour avoir une passeport russe et n’ont pas voulu passer, ou n’ont pas réussi les examens pour obtenir la citoyenneté estonienne. De ce que je comprends, ils ne sont donc pas non plus des citoyens européens. Ils pourraient voyager dans l’Union Européenne au même titre qu’un Canadien, par exemple, mais n’ont pas les privilèges des Estoniens, qui peuvent aller travailler dans un autre pays de l’Union sans visa. Ce type de passeport restreint aussi leurs droits, par exemple pour voter à certains niveaux, et crée des inégalités sociales, alors que certaines entreprises privilégient les détenteurs de la citoyenneté estonienne. Ça crée aussi des débats et des tensions ethniques, sur lesquelles je pourrai revenir plus tard. C’est une réalité assez frappante, car, sur une population de 1,3 millions, entre 80 000 et 90 000 ont ce passeport gris et sont donc « sans pays ». Cependant, depuis 2016, les nouveaux-nés en Estonie ont automatiquement la citoyenneté.

Depuis peu, la Russie a annoncé que les détenteurs de passeport gris pouvaient entrer en Russie sans visa. Bien que ça soit une bonne nouvelle pour les Russes ethniques qui peuvent maintenant traverser le pont entre Narva et Ivangorod simplement en montrant leur passeport, ça a ajouté une tension entre la Russie et l’Union Européenne, celle-ci craignant que la Russie tente de rallier sa diaspora. En effet, elle offre maintenant un avantage aux résidents russes de l’Estonie. Alors que leurs déplacements restent limités en Union Européenne, ils peuvent maintenant aller et venir en Russie.

Pont menant vers la Russie depuis Narva. Les gens qui veulent le traverser doivent fournir plusieurs autorisations étudiées rigoureusement. Les Russes ethniques détenteurs d’un passeport gris peuvent le traverser simplement en le présentant.

Est-ce qu’il faudrait adapter les lois de l’Estonie à la réalité des résidents russes, peut-être en ajoutant le russe comme langue officielle? Est-ce qu’il faudrait au contraire encourager les Russes ethniques à apprendre l’estonien pour mieux s’intégrer? Est-ce que la présence d’une minorité russe pourrait être exploitée par la Russie? Quel devrait être le rôle de l’Union Européenne dans ce débat? Voilà beaucoup de questions, et plus encore, qui rythment le débat de la cohabitation entre Estoniens et Russes. Ce n’est pas du tout ma place pour me prononcer, mais si je peux me permettre, je crois que plus on parle de langues, mieux c’est! C’est enrichissant, ça ouvre plus de dialogues et de portes, et c’est rassurant aussi. Bref, j’oserais dire que d’enseigner et le russe et l’estonien dans les écoles serait une bonne option. Je terminerai avec cet exemple d’une famille russe de Moscou venue vivre à Tallinn pour le travail. L’un des enfants d’environ 6 ans me racontait, dans un anglais candide mais pratiquement parfait, qu’il parlait 3 langues. Ses parents m’ont précisé qu’il fréquentait une école où il apprenait le russe, l’estonien, et l’anglais, et ça m’a semblé être la meilleure option pour l’avenir!

5 commentaires »

  1. Je me demande quel avantage les Russes ont à ne pas parler l’Estonien sachant tous les avantages dont ils pourraient bénéficier. Au moins les enfants commencent à apprendre 3 langues je pense comme toi c’est une richesse dans tous les pays d’ailleurs. Même à Montréal il y a présentement des hauts dirigeants qui s’acharnent à pas parler français ça prend une loi pour l’appliquer. Hasta luego, näeme järgmine lord, Uvidimsya V Sleduyushchiy Raz, se you next Time, À bientôt, désolée pour le français en dernier.

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