Réfugiés estoniens, image prise sur le site Communist Crimes

Première parenthèse aujourd’hui sur le sujet des déportations, soit les gens qui ont réussi à y échapper. Dans le musée Vabamu, une salle est consacrée aux Estoniens qui ont fui par la mer, principalement pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Au milieu de la pièce, un bateau, un vrai, qui a réellement servi pour transporter des passagers de l’Estonie vers des destinations scandinaves. Et derrière, un écran qui présente en boucle un film des années 40 montrant des passagers qui montent à bord avec leurs valises. Deux choses me surprenaient. D’abord, en voyant le film, et la quantité de personnes et de bagages qui sont sur le bateau, j’avais du mal à imaginer que tout rentrait réellement dans le bateau qui se trouvait devant moi, et sans que ça ait coulé. Bravo aux concepteurs et à ceux qui ont construits ce modèle de bateau, c’est du solide. Et ensuite, dans cette situation d’urgence, qui a pris le temps de filmer? Ça m’impressionne toujours les circonstances dans lesquelles sont obtenues ce genre d’archives. C’est génial pour les historiens ensuite et pour le public, mais j’imagine que des gens risquaient leur vie en fait pour documenter des moments historiques.

Remise en contexte des premières déportations soviétiques, pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Les Soviétiques commençaient à s’installer et à prendre des mesures pour supprimer toute résistance. Beaucoup d’Estoniens (et, encore une fois, des Lettons et des Lituaniens) qui se sentaient en danger ont préféré se sauver directement plutôt que d’attendre d’être arrêtés et déportés. Et comme les pays baltes sont des pays côtiers, la fuite par la mer était la meilleure option. C’est en 1944 qu’il y a eu les plus grosses vagues de fuite, avec le retour au pouvoir des Soviétiques après l’occupation allemande. Il est estimé que plus de 300 000 Baltes ont pu fuir avant la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.

Dernier regard vers Tallinn, fuite en septembre 1944 pendant la Guerre. Image prise sur le site Communist Crimes

Tout comme pour les déportations, le musée présente plusieurs témoignages de gens qui ont fuit le régime communiste par bateau, et ce qu’on remarque, c’est que pour ceux-ci, c’était au début une solution temporaire. Leur passé de soldat, par exemple, ou leurs affiliations politiques les mettaient en danger par rapport aux Soviétiques, et ils pensaient se sauver pour leur échapper pendant la durée de la Guerre. Ils avaient ensuite l’intention de rentrer chez eux. Personne ne pouvait prévoir que la fin de la Deuxième Guerre Mondiale deviendrait le début de la Guerre froide… et que le Rideau de fer les empêcherait de rentrer chez eux. Alors, pour la majorité, ce qui ne devait être qu’un séjour temporaire à l’étranger en tant que réfugié politique s’est transformé en une immigration permanente. Du moins, jusqu’en 1991, où il a de nouveau été possible pour les Estoniens expatriés de rentrer chez eux. Mais, comme pour les déportés, ces gens avaient fait leur vie ailleurs, en particulier les enfants au moment du départ. Des familles ont enfin pu être réunies, mais beaucoup d’enfants maintenant grands découvraient leur pays d’origine et n’y sont allés que pour visiter.

C’est l’imprévu du Rideau de fer qui explique aujourd’hui les nombreuses diasporas baltes dans le monde. Il y en a évidemment beaucoup en Suède, en Norvège, au Danemark et en Allemagne (de l’Ouest), qui étaient des endroits très accessibles par la mer, surtout en voyageant dans des bateaux pas nécessairement adaptés pour de très longues distances (c’était par exemple des bateaux de pêche utilisés en urgence). Il y a eu des camps de réfugiés en Finlande aussi, mais ils se sont éventuellement déplacés vers la Suède quand la Finlande a été occupée par les Soviétiques. Au début, c’était des camps de réfugiés provisoires pendant qu’ils espéraient que l’Armée rouge allait être défaite, mais quand c’est devenu évident qu’ils ne pourraient pas rentrer chez eux aussi rapidement que prévu, ils se sont installés dans leurs nouveau pays. Certains plus aventuriers se sont rendus plus loin, et ont été attirés par les grands espaces de l’Angleterre, du Canada, des États-Unis, et même de l’Australie. Il y a d’ailleurs une collaboration entre le musée Vabamu et différentes sociétés estoniennes d’Australie qui ont fourni des photos et d’autres archives.

Affiches pour inciter à immigrer en Australie. Le pays a mis sur pied un programme pour accueillir les réfugiés, et soulager les camps qui débordaient. La proximité, le manque de ressources et des éclosions de tuberculose requéraient de l’aide internationale. Image prise sur le site Estonian World

Les témoignages des Estoniens expatriés contactés par le musée sont partagés: certains se sont bien intégrés dans leur pays d’accueil et sont revenus en Estonie en tant que touristes seulement; d’autres, moins nombreux, avaient le mal du pays, sont restés entre eux, et sont rentrés dès qu’ils ont pu. Quoiqu’il en soit, la diaspora estonienne a permis le rayonnement culturel et la préservation des traditions de ce petit pays alors qu’il était coincé derrière le Rideau de fer. Pendant les dernières années de l’occupation soviétique, les pressions des expatriés ont encouragé la chute du régime communiste.

Image prise sur le site Estonian World

Voilà, je trouvais que c’était une histoire complètement inattendue liée aux déportations, ou plutôt à leur menace, et on quitte l’univers des trains pour celui des bateaux. Dans les deux cas, et même si c’est pour une triste raison, ça a contribué à créer une diaspora estonienne, et c’est surtout une épreuve de plus que les peuples baltes ont traversée. Plus on en apprend, plus on découvre comme leur histoire est riche, et porteuse d’espoir!

Tallinn, 2021

7 commentaires »

  1. Ha! Je suis la deuxième! Il y a beaucoup d’informations dans cette chronique! Ça élargit aussi l’envergure de toute cette partie de l’histoire qui touche plusieurs pays qui ont accueilli ces déportés ou ces réfugiés pour le meilleur ou pour le pire! Les Vietnamiens ont connu aussi, plus tard ces voyages, entassés sur des bateaux! Et bien d’autres populations! C’est inhumain!!!

    L’affiche de l’Australie est amusante et jolie!

    Tu m’avais suggéré de lire « Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre » de la Lituanienne Ruta Sepetys. Je l’attends de la bibliothèque depuis quelques semaines et je suis au rang 1. J’ai constaté aussi que c’est un livre pour adolescents.es. J’espère que je ne suis pas trop vieille pour le lire!!! Je t’en reparlerai quand je l’aurai enfin entre les mains. Je ne manque cependant pas de lecture en général!

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    • C’est fou comment il y a eu beaucoup de déportations dans l’histoire de l’humanité!
      J’ai lu ce livre adulte, je pense qu’il convient à tout le monde. C’est peut-être parce que la personnage principale est adolescente…

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  2. Ha! Je suis là troisième! Je découvre vraiment toute leur histoire dans tes récits et souvent je me dis ça fait pas si longtemps finalement . Par la force des choses ils ont dû s’adapter dans un autre pays aujourd’hui beaucoup en font le choix . Nous ont fait des voyages en 🚂, des croisières et ont trip. Voilà ma réflexion pour aujourd’hui.

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