On avait laissé la petite fille maintenant orpheline en train de chercher une solution pour avoir de la nourriture pour elle et ses deux frères. Elle décide de ne plus aller à l’école, de mentir sur son âge et d’aller à la cabane administrative s’enregistrer pour travailler dans les mines. Il faut normalement avoir 14 ans pour le faire, elle en a 12. Elle est déjà petite et ça fait des semaines qu’elle ne mange pas à sa faim. Elle n’a manifestement pas l’air d’avoir 14 ans, ni même 12, mais les autorités ne refuseront pas un travailleur de plus. Elle aura sa ration matin et soir, qu’elle pourra partager avec ses frères.
La première journée de travail commence avec une longue marche pour se rendre à la mine. La petite fille est déjà épuisée en arrivant, et se demande pourquoi le camp a été installé aussi loin de la mine. Plus tard, elle se dira que c’était par perversion, pour fatiguer les gens encore plus. Des travailleurs fatigués vont concentrer toutes leurs énergies sur leur tâche afin d’avoir droit à leur nourriture, au lieu de faire du trouble. Avec le recul, elle se demandera souvent comment elle a fait pour tenir. Elle se souvient que le lendemain de cette première journée, ses muscles lui faisaient tellement mal qu’elle pleurait en marchant. Mais elle avait la responsabilité de ses frères. Si elle ne réussissait pas, qui allait les nourrir?
Avec les jours, la douleur est partie. La petite fille se sentait comme une automate, à répéter toujours les mêmes gestes, tous les jours. Elle avait du mal à suivre l’évolution du temps, et a été surprise par la première neige. De son premier hiver en Sibérie, elle se souvient que l’inquiétude de la nourriture a laissé place à l’inquiétude des vêtements. Les soirs, les habitants des baraques se réunissaient autour du poêle et reprisaient les vêtements. Il y avait une sorte de petit marché noir par lequel les déportés s’échangeaient leurs possessions. Un manteau contre des bas. Des bottes de différentes tailles. Mais c’était des vêtements apportés de pays qui ne connaissaient pas l’hiver comme la Sibérie. Beaucoup de travailleurs sont morts de froid.

Avant le deuxième hiver, peut-être par relâchement, peut-être par prévention pour conserver la main d’oeuvre, il s’est mis à y avoir des jours de congé en rotation. Les travailleurs pouvaient en profiter pour marcher jusqu’à un village habité principalement par des locaux, et se procurer des vêtements chauds adaptés, en échange de babioles, et, pour les plus courageux, de sel volé dans les mines. La petite fille y est allée quelque fois, mais s’est servi des affaires de sa mère, des beaux vêtements inutiles, elle avait peur de se faire prendre si elle ramenait du sel. Elle s’est aussi débarrassée de sa robe. Elle pensait la garder pour rentrer en Estonie, mais elle a plus besoin d’un manteau.
Le deuxième hiver a été moins pénible. Ses collègues de baraque et elle ont commencé à mettre de côté de la nourriture pour pouvoir fêter Noël. Ils ont chanté des chansons avec un musicien qui avait fabriqué une flûte dans du bois. Les soldats soviétiques les ont laissé faire. Peut-être qu’ils s’ennuyaient eux aussi, en Sibérie, à surveiller des gens affamés.

Quand elle raconte son histoire, la petite fille préfère se concentrer sur ces moments, mais elle n’oublie pas ses collègues dans les mines qui s’effondraient de fatigue, et qui étaient fusillés, ou les coups qu’elle recevait si elle ralentissait. Elle n’oublie surtout pas la femme désespérée qui venait d’arriver, qui a voulu tenter sa chance et qui s’est mise à courir pour s’échapper. Elle est morte avant de tomber. Personne ne lui avait dit qu’il n’y avait nulle part où se réfugier. Peut-être que ça lui était égal, elle voulait juste s’enfuir, peu importe où. Elle n’oublie pas les moustiques en été, et ses mains en sang et gelées l’hiver.
Et elle n’oublie pas la maladie de son frère cadet. Elle devait le laisser seul pendant la journée pour aller travailler, et était effrayée de rentrer et de le retrouver mort. Il s’en est remis, mais tousse encore beaucoup, des années plus tard.
Les enfants ont passé 2 ans dans cette mine de sel. Beaucoup de gens qu’ils ont connus quand ils sont arrivés n’étaient plus là. Un jour, un soldat a rassemblé les habitants des baraques. Il tenait une liste, et nommait des noms. Ceux appelés devaient se préparer à partir immédiatement par train. Personne ne savait où, mais tout le monde savait que ce n’était pas un trajet de retour.
La suite dans le prochain article!

Je me demande comment elles faisaient pour sourire. Ils trouvent le courage de fêter Noël avec les risques que ça impliquaient tellement le besoin de survivre psychologiquement était grand. Nous Noël en temps de pandémie quel drame…..j’ai lu l’article dans the Américain Interest l’histoire de certaines femmes comme Ella, Elena…ce n’est sans doute que la pointe de l’iceberg.
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Cet article était vraiment intéressant! J’ai surtout aimé le titre hehe
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Lisette
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Quelques moments émouvants à souligner, la maigre part de nourriture à partager, les échanges de vêtements, la robe à sacrifier pour un manteau, les chansons de Noël avec l’accompagnement du musicien qui a fabriqué une flûte en bois Enfin, le courage de tous ces déportés qui survivent dans de telles conditions inhumaines.
* une petite remarque orthographique: on doit écrire nulle part et non nul part, que tu emploies régulièrement. Part est un mot féminin.
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Merci, c’est vrai que j’utilise souvent ça pour décrire la Sibérie haha
Je reparle de la symbolique de la robe aujourd’hui!
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