Nous voici enfin à la destination finale, la Sibérie, au bout de ce loin et horrible périple en train. Pour bien se représenter l’ampleur du voyage, voici à quoi pouvait ressembler un des trajets. La Sibérie, c’est évidemment très grand, donc il y avait plusieurs destinations possibles. J’ai choisi au hasard celle d’une déportée de Tallinn dont la famille a été installée dans la région de Cheremkhovo pour travailler dans les mines de charbon en développement.

L’itinéraire illustré, c’est celui en utilisant les transports en commun d’aujourd’hui. En 1950 par exemple, ça prenait plusieurs semaines, selon la météo et les arrêts sur le chemin. Mais c’est pour constater à quel point les gens étaient amenés loin!

Les mines de charbon de Cheremkhovo, le camp de prison de Petrovsk, les mines de sel de Solikamsk, le villages de Komarje… Des noms qui sonnent très loin, des arrêts temporaires, des résidences permanentes, pour tous ces trains qui arrivaient des pays baltes… mais pas seulement. Mon focus en ce moment est sur l’Estonie parce que c’est là que j’ai été et que j’ai visité le musée Vabamu. Par contre, il y a malheureusement eu beaucoup d’autres déportés, et plusieurs nationalités se sont côtoyées en Sibérie. Au Baltes s’ajoutaient d’autres résidents de l’Union Soviétique: Ukrainiens, Moldaves, Biélorusses… Et pour contredire un peu l’idée des Russes comme auteurs de ces actes… des Russes aussi étaient déportés en Sibérie. Tous ceux en fait qui s’opposaient directement ou indirectement au régime étaient punis. Et il y avait beaucoup de Russes, des kulaks, des résistants au communisme, qui subissaient le même sort. Donc, ce n’est pas « les Russes » contre le reste de l’Union Soviétique, c’est « les autorités » contre tous les citoyens.

Envoyer des gens en Sibérie, c’était à la fois pour se débarrasser, littéralement vue la distance, de ceux identifiés comme fauteurs de trouble. Vous le voyez avec la carte, ce n’est clairement pas possible de décider de s’enfuir et de rentrer chez soi à pied. 5800 km, à pied, dans un endroit absolument pas développé (on parle de la Sibérie dans les années 50), un terrain inconnu… Mon GPS m’indique 49 jours en marchant 24h/24. Et c’est sans compter les dangers externes comme les loups, la faim, les blessures possibles, et, évidemment, le froid… qui frôle les -30 en janvier. Les Estoniens par exemple, habitués à leur climat plus tempéré de bord de mer, n’avaient pas les vêtements pour y faire face. Bref, envoyer des gens en Sibérie, c’était s’assurer qu’ils ne reviendraient pas être dérangeants. C’était aussi, comme on l’a vu, une façon d’obliger la coopération des habitants des pays ciblés, avec cette menace qui planait. Et ça faisait de la place au immigrants russes envoyés pour mieux « soviétiser » les pays.

Du côté de la Sibérie, c’était une façon d’accélérer son développement industriel. Le vaste territoire regorge de richesses naturelles qui allaient profiter aux villes, dans le contexte de la course à la modernisation entre le capitalisme et le communisme. Qui performerait le mieux? Il fallait exploiter les mines de Sibérie, construire des chemins pour les rendre plus accessibles (comme la construction du long chemin de fer Trans-sibérien), construire des villes près des sites exploités. Ça prenait des gens pour construire, des gens pour travailler, des gens pour habiter là. Bref, les déportés.

Train dans la région de Irkutsk, près de Cheremkhovo. Image prise sur le site Trains Worldexpresses

Finalement, envoyer tous ces gens en Sibérie, c’était une façon de mêler les populations locales à celles soviétiques. D’un côté comme de l’autre, Moscou disséminait des gens comme des pions pour s’assurer que toute l’étendue du territoire était habitée par des Soviétiques, et restait donc sous son contrôle. Plus le territoire est grand, moins il est habité, plus il est vulnérable. La Russie sort tout juste de la Deuxième Guerre Mondiale et veut consolider ses frontières, particulièrement à l’extrême est, près de la Chine et du Japon. Ça mettrait aussi « de l’ordre » parmi les populations locales, principalement nomades à l’époque, donc difficiles à recenser et contrôler.

Bref, à part pour les gens concernés, la déportation semblait être la solution idéale pour toutes les inquiétudes. Les déportés étaient installés dans des prisons, des mines, des villages. Parfois pour quelques semaines, parfois pour des années. On verra dans le prochain article à quoi ressemblait la vie en Sibérie.

9 commentaires »

  1. Comme Louise, moi aussi, j’attends la suite, c’est-à-dire l’organisation concrète de tout ce monde des pays baltes qui arrive en Sibérie pour vivre au quotidien et travailler! Dans ma tête, c’est un vrai cauchemar!? …. soviétique!

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  2. J’ai sauté quelques chapitres…et je vois ici la réponse à mes questions de l’article Vabamu 4…je pense..Merci ! J’apprends ici que tout ceci était motivé par la course et compétition à la suprématie capitalisme-communisme qu’il fallait établir. j’avais pas pensé à ça!

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