Avec le temps des pommes qui arrive, j’avais envie d’exposer la situation des pommes qui m’a particulièrement marquée en Bulgarie.

La ville où j’habitais, Stara Zagora, était une petite ville provinciale au centre de la Bulgarie, entourée de villages et de champs. Les épiceries étaient plus en fait des dépanneurs, la sélection des produits frais limitée, et il y avait des marchés extérieurs pour les fruits et légumes. Vraisemblablement, c’était des villageois qui venaient vendre leur récolte dans un cadre pas du tout encadré. Absolument pas de normes sanitaires (je pourrai en reparler!), mais on pouvait être certain qu’il n’y avait pas de pesticide, et que c’était une vraie « étiquette organique ». Pour les pommes, pas de Lobo ou Honeycrisp; c’est les pommes qui poussent dans le jardin des vendeurs. La propriétaire de mon appartement, qui habitait dans un village en bordure, m’avait d’ailleurs donné un panier de ses pommes en cadeau de bienvenue. Elles étaient grosses et piqués, et un peu difforme, comme toutes celles des marchés, et elles étaient délicieuses. Je crois que c’est ça le vrai goût des pommes, avant que leur production devienne uniformisée et catégorisée.

Quand elle m’a invitée chez elle pour fêter Noël, j’ai pu voir effectivement des pommiers ça et là dans sa cour, qui poussaient dans du foin entre un vieux tracteur rouillé et des vieux meubles en bois. Ça ne peut pas être plus authentique que ça!!

« verger » bulgare, ou un paisible village le matin de Noël

Et pourtant, après des mois à me régaler de pommes sans OGM, j’ai commencé à avoir une envie grandissante de bonnes vieilles Granny Smith. Dures, surettes, et vertes. Les pommes qui poussaient localement variaient entre le rouge pâle et jaune, étaient molles et sucrées. Dans les épiceries, pareil, mais plus poquées. J’ai vraiment fait le tour des épiceries de la ville pour trouver ces pommes. Je ne sais pas pourquoi j’en rêvais autant. Parce que c’était ma sorte préférée à Québec? Pour me rappeler la maison? Parce que le goût et la texture, si accessibles avant, me manquaient? C’est vrai que c’est dur d’être brusquement coupé des pommes vertes après en avoir mangé chaque jour pendant des années… Toute une désintox!

Et puis pendant mes vacances de Noël j’ai voyagé, et sur le trajet du retour, j’avais une correspondance à l’aéroport de Eindhoven en Hollande, une petite escale à « l’Ouest ». Je me souviendrai toujours de ce moment. Après des mois de recherche, la cafétéria servaient… des pommes vertes!! J’étais tellement sous le choc qu’au moment de passer à la caisse, j’ai demandé si les pommes vertes étaient bien à vendre. Qui sait, ça aurait pu être seulement de la décoration. Dans un endroit qui déborde de pommes vertes, pourquoi pas? Mais non, elles étaient bien là pour être consommées. J’en ai pris une, c’était comme si je tenais le St-Graal. Je l’ai trainée dans mon bagage à main de Eindhoven jusqu’à Sofia, en Bulgarie, dans le métro jusqu’à la gare de bus, et encore dans le bus jusqu’à Stara Zagora. En marchant vers mon appartement dans la nuit, je tenais mon sac d’une main et ma pomme de l’autre. Je l’ai mise sur mon bureau pour la contempler. Si les voisins du bloc d’en face étaient réveillés, ils ont pu voir par la fenêtre grâce à la lumière de ma chambre quelqu’un savourer une boule verte.

La fameuse pomme hollandaise qui a traversé l’Europe

C’est fou comme une simple pomme verte m’a fait du bien. Pour dessiner un parallèle très tiré par les cheveux, c’était comme un lien entre l’Ouest et l’Est à l’époque du rideau de fer. Expatriée dans l’Est, cette pomme représentait mon lien avec l’Ouest, une civilisation où les pommes vertes poussent. Comme un programme de radio étranger capté clandestinement, ça me rattachait à l’Ouest. Comme des friandises françaises ou italiennes ramenées pratiquement en contrebande par des diplomates, cette pomme était mon trésor ramenée de l’Ouest. À un niveau plus émotif, c’était simplement un souvenir de ma vie au Québec, quand je mangeais des pommes vertes sans trop y penser, sans imaginer que ça pourrait devenir une denrée rare.

Et le plus ironique? Maintenant, je ne mange presque plus de pommes vertes! Je m’ennuie des pommes bulgares sans nom qui poussent dans la broussaille des villages. Elles n’étaient pas éclatantes de beauté, mais elles goûtaient l’air frais et le hasard. Elles venait de pommiers qui poussent sans entretien et sans aide, dans des décors magnifiques, depuis qui sait combien de temps… Combien de générations de pommes sont passées dans ces villages bulgares intouchés par les pesticides?

Voilà mon envolée lyrique un peu intense sur les pommes, et sur ce, je m’en vais donner des petits morceaux de pommes de l’Île d’Orléans à ma lapine qui est encore plus obsédée que moi!

9 commentaires »

  1. Quelle savoureuse histoire de pommes 🍏 🍎.! La pomme verte n’a jamais été ma préférée! Mais j’en mange à l’occasion pour faire changement. J’avoue que je ne pourrais pas écrire une si belle histoire de pommes. Ça fait 80 ans que j’en mange sous différentes formes, mais je n’en ai jamais parlé avec autant de poésie et d’intérêt! C’était la banale collation au retour de l’école, sauf quand ça sentait la tarte ou la croustade fraîchement cuite! Hum! On avait hâte au souper!

    Dans mon jeune temps, la variété de fruits était beaucoup plus restreinte. Et la variété de pommes aussi! Mais … an apple a day keep doctor away! C’était la devise! …… Donc on mangeait des pommes!

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    • En fait je pensais écrire sur tout ce qui me manque du Québec quand je suis en Europe, mais finalement, j’en avais gros sur le coeur à propos des pommes seulement! Et puis c’est tellement présent dans notre cuisine, surtout en ce moment!

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  2. Les voyages ça fait souvent découvrir une nouvelle version des goûts de nos aliments . Moi je me souviens des nectarines en Corse et des cantaloup!! Et aussi un ananas à Hawaï! Là où ils poussent ! J’en rêve souvent.

    Dans un autre ordre d’aliments un certain sticktoffy pudding en Angleterre!!!

    Merci d’avoir écrit sur ce sujet. Ça me fait penser à mes souvenirs gustatifs!

    F

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  3. Ce beau témoignage me fait penser au fruits du Costa Rica si tu te rappelles, pas passés au botox mais délicieux . Comme les enfants qui reçoivent un cadeau de grande valeur et qui préfèrent le papier d’emballage pendant un moment la pomme est devenue plus importante que la Bulgarie elle même.

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