Maintenant que vous connaissez un peu plus le contexte de la ville de Narva, je vous raconte ma journée là-bas. Étrangement, je n’ai eu aucun problème de transport, ni à l’aller, ni au retour. C’était juste plate et long (4h, donc 8h de déplacement dans la journée), mais rien de spécial. J’ai traversé quelques villages, vu quelques blocs, surtout beaucoup de champs et forêts. J’avais un temps limité sur place, comme à Kuressaare, alors mes priorités étaient de voir la frontière avec la Russie, marcher dans les blocs, et manger russe. Et c’est pas mal juste ça que j’ai eu le temps de faire. Je consacre cet article aux blocs de Narva puisque ça a été mon activité préférée (quelle surprise!), et la découverte de la Russie suivra dans le prochain!

J’ai commencé ma journée par les blocs un peu par hasard, parce que sur le chemin entre la gare de bus et la frontière, j’ai été attirée par un amas gris au loin.

Des magnifiques blocs m’attendaient. Donc j’ai fait un détour pour aller me promener dans ce quartier et les admirer. J’ai été surprise de constater que la majorité étaient en briques au lieu de béton, et c’était la première fois que je voyais ça, un bloc de l’époque communiste en briques dans un pays de l’Est. En fait, ça rappelle les blocs de mon quartier de Limoilou à Québec, construits à la même époque. Et honnêtement… je me demande lesquels ont le mieux vieilli!! Je préfère le béton, ça fait plus délabré, mais ça mérite une future recherche pour un prochain article pour savoir pourquoi des briques, pourquoi à Narva…

Bloc en briques
Blocs en béton

C’était extrêmement tranquille comme quartier. Déjà de base, ce n’est pas l’été avec les meilleures statistiques touristiques, ensuite Narva, présentée comme une ville industrielle (beaucoup d’usines, qui justement ont motivé une forte immigration russe), n’est pas la destination la plus prisée de l’Estonie, et finalement, quel touriste irait se perdre dans une banlieue de blocs, à part moi ou quelqu’un de perdu pour vrai?

J’ai croisé quelques passants, une ou deux babushkas, des personnes âgées qui discutaient sur les bancs installés sur des paliers de blocs. J’aurais aimé oser leur demander de les prendre en photo, je ne l’ai pas fait. Peut-être qu’un jour je serai assez dégênée pour le faire dans un futur voyage. Et pas moyen de prendre des photos en cachette, je me suis fait repérer dès que je suis entrée dans le quartier, des yeux me suivaient partout, dans les rues, depuis les fenêtres et balcons. Pas hostiles, mais certainement intrigués. Qu’est-ce qu’une étrangère en imperméable (jamais trop prudent) sous le soleil fait à photographier des blocs? Et, oui, les blocs c’est magnifiques, mais quand je réussis à avoir un humain dans le décor, je trouve que ça apporte de la vie, ça accentue la taille, et ça met en perspective les centaines de petites tranches du quotidien réunies sous les blocs. Bonus si les couleurs du piéton s’agencent au bloc!

De marcher entre justement ces tranches de vie, les enfants qui jouent dans des modules de jeux qui me feraient craindre pour le tétanos, des gens qui reviennent du dépanneur du coin, qui promènent leur bébé en poussette ou leur chien, qui cherchent leur clef dans leur sac pour entrer, qui descendent leur poubelle, qui discutent entre eux, des fragments de russe, des rideaux de dentelles aux fenêtres, des cordes à linge communautaires, ça apporte une autre dimension à la question des Russes ethniques en Estonie. Ces gens sont installés à Narva depuis des générations, ils sont nés en Estonie, peut-être que leurs parents et même grand-parents aussi, même s’ils parlent russe, leur vie est en Estonie, c’est chez eux. Pourquoi ne pas leur accorder la citoyenneté? Pourquoi supposer qu’ils devraient et veulent retourner vivre « chez eux » en Russie? Pourquoi une hostilité automatique à cause du passé? Ça prend combien de générations sur une terre pour que ça puisse être considéré comme appartenant à un peuple? Est-ce qu’un Estonien, dont la famille habite depuis des centaines d’années dans un village, est réellement plus « estonien » qu’un Russe ethnique donc la famille habite depuis des dizaines d’années en Estonie? Qui n’a peut-être même jamais mis les pieds en Russie? Qui ne fait que la voir depuis la rive de Narva?

Corde à linge entre les blocs

Et puis au final, cette promenade qui m’a semblé aussi bucolique qu’un après-midi en campagne, peut-être à cause du soleil qui tapait fort sur mon imperméable coupe-vent, ou à cause des quelques fleurs qui se sont trouvé une place à travers les briques et le béton, ou simplement parce que c’était tellement paisible comme endroit, m’a laissée avec l’impression que toutes ces questions d’identité, quoique d’une grande importance, n’affectent finalement pas tellement le quotidien. Les enfants jouent, les gens travaillent, regardent le temps passer s’ils ont le temps, en Russie comme en Estonie, comme partout ailleurs, et les blocs abritent leurs histoires.

11 commentaires »

  1. Ce que j’ai préféré dans cette chronique, c’est ton dernier paragraphe! De la poésie, de la philosophie « gros bon sens ». Tout ce long voyage pour arriver à cette conclusion si évidente. Ça valait le coup quand même de découvrir cette réalité toute simple! Même parmi les fameux « blocs » qui te hantent.

    Mais ce n’est pas une réalité pour une multitude de pays dans le monde! Malheureusement!

    Lisette

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  2. Bon.
    Ma mère me fait réaliser l’absurdité de mon commentaire…désolé, pur oubli de ma part…
    Allons-y pour …c’est probablement du mimétisme…
    Toutes mes excuses, je tournerai mon clavier 7 fois la prochaine fois avant de cliquer sur publier . 😐

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  3. Je suis vraiment impressionné par la qualité de tes descriptions. C’est envoutant même si le sujet c’est des blocs de béton. J’en reviens pas comment tu fais pour rendre ça intéressant ! Bravo et merci.
    Francis

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